Eric Robertson Dodds, "Les grecs et l'irrationnel"
1977 | ISBN: 2080810286 | Français | PDF | 329 pages | 6 MB
1977 | ISBN: 2080810286 | Français | PDF | 329 pages | 6 MB
La culture hellénique est traditionnellement associée au triomphe de l'esprit de raison, comme si, phénomène unique dans l'histoire des civilisations, elle ne laissait aucune place aux forces obscures et irrationnelles. E.R. Dodds, dans ce livre désormais classique, aborde le problème par l'étude des textes, depuis l'épopée homérique jusqu'à la fin du IIIe siècle. Il décèle, théories anthropologiques et psychologiques à l'appui, tout ce qui, dans cette littérature, suppose une ingérence surnaturelle dans les affaires humaines. L'auteur démontre ainsi que les hommes qui créèrent le premier rationalisme furent conscients, même au travers de l'époque hellénistique, de la puissance, de la splendeur et du péril de l'Irrationnel.
Cet ouvrage, publié en 1951 (trad. fr. : 1965), renferme les conférences qu’E.R. Dodds avait données à l'automne 1949 en tant que « Visiting Professor » à l’Université de Berkeley (Californie), qui avaient comme objet l’étude de l’irrationalité grecque ancienne dans toutes ses manifestations, ainsi que la place dans la culture grecque du rêve, de la transe, de la magie. Ce sont tous des sujets encore marginaux et marginalisés par la recherche à cette époque. Il se compose de 8 chapitres. Il est enrichi de deux appendices, articles publiés et remaniés. Le premier montre que le ménadisme des 'Bacchantes' correspond à des faits cultuels attestés par des inscriptions. Le second est une véritable histoire succincte de la théurgie, considérée dans son développement et ses méthodes.
L'auteur s'adressait là à un public plutôt occupé de psychologie et de sociologie. On pourrait craindre dès lors que l'helléniste ne s'y trouvât mal à l'aise. Il n'en est rien. Les préoccupations sociologiques s'allient ici à l'information la plus de l'érudit, bien connu par son édition des Bacchantes. Chaque chapitre est suivi de nombreuses pages de notes où on voit l'auteur merveilleusement au courant de ce qui se publie partout sur la qu'il traite. On ne peut en dire autant, on le sait, de tous les philologues. Et l'histoire des idées grecques gagne beaucoup à être confrontée avec les résultats actuels des sciences de l'homme. Il faut de plus en plus à ceux qui étudient les faits anciens — surtout les idées religieuses, les institutions sociales — une ampleur, une hauteur de vue, sans laquelle une saine interprétation n'est plus possible. Traiter synthétiquement de l'irrationnel était inédit alors. La synthèse va de pair avec une impressionnante sûreté du détail et, en 300 pages, elle offre, d'Homère à Proclus, les jalons essentiels, grâce auxquels le lecteur peut reconstituer, d'une façon plus profonde, tout le destin de l'hellénisme.
S'adressant à un large public, le livre fit date : son approche anthropologique rompait avec la conception de la Grèce classique comme modèle de rationalité. L’irrationnel n'était pas le négatif de la rationalité mais s'inscrivait dans un rapport dynamique avec celle-ci. Cette étude de la mentalité grecque antique — pourvu d'un index substantiel — s'étend de la période archaïque à la période classique. Elle reste un classique.
Dans son autiobiographie parue en 1977, Dodds note non sans humour : « Ce travail, il m’a paru qu’il en valait la peine, puisque, tout en cherchant à mieux comprendre l’ancien monde grec, je cherchais également à mieux comprendre, comme toujours, le monde dans lequel je vivais… Sous la forme du livre, les conférences on attiré un cercle beaucoup plus large de lecteurs – principalement, je présume, parce qu’elles s’accordaient avec le Zeitgeist. Le public cultivé, aussi bien en Europe qu’en Amérique, en avait assez à écouter les Grecs présentés comme les rationalistes typiques, les précurseurs de la perspective scientifique moderne, et était heureux d’entendre que les Grecs avaient, tout comme nous, bataillé selon leur manière avec les éléments ténébreux et moins rationnels de l’expérience humaine. J’ai acquis, par hasard, une certaine réputation internationale ».